Vivre ensemble et libre
Avant-propos
Il serait facile de penser, ou de caractériser, le Mallouestan comme un collectif cherchant simplement à faire pousser quelques légumes et à s’abstraire de la technologie moderne par souci écologique. À vrai dire, ce n’est pas tout à fait faux, mais ce n’est pas notre objectif principal. Avant tout, le Mallouestan est un collectif qui cherche à « sécuriser » ses membres ainsi que, dans la limite de ses capacités, les personnes gravitant autour. Ce texte vise à éclaircir cette raison d’être du projet.
Qu’entendons-nous par sécuriser ?
Comme beaucoup de ses membres, les personnes qui composent les réseaux du Mallouestan traversent souvent des situations difficiles : précarité économique, tensions familiales, isolement social… Ces réalités ont motivé la création du projet. Le Mallouestan se veut un lieu d’hébergement, de vie et de refuge. Il offre une sécurité à celles et ceux qui en manquaient, qu’iels soient membres ou proches du réseau. Cette sécurité 1 1. Nous n’utilisons pas intentionnellement le mot safe, souvent employé dans les milieux militants. Sur ce point, nous rejoignons en partie la critique formulée par Miriam Bahaffou — ce qui nous arrive rarement — concernant la place et la forme que le care, ainsi que ce que le terme safe, ont pris dans de nombreux milieux féministes. Elle qualifie cette tendance de « politiques sécuritaires du trauma » et en explicite de nombreuses embûches, dont de nombreuses auxquelles nous souscrivons. Voir Éropolitique : écoféminismes, désirs et révolution, Le Passager clandestin, 2025.
est intimement liée à notre vision de la liberté. Au fond, le Mallouestan est un collectif qui cherche à rendre ses membres libres.
Loin de la vision moderne libérale de la liberté, le collectif envisage celle-ci comme indissociable du cadre collectif. Être libre, pour nous, c’est d’abord appartenir à une communauté (famille, collectif, village…) prête à nous défendre, autrement dit à défendre nos droits. Être libre implique aussi que, de manière démocratique, nous puissions participer à la direction, au cadre et aux spécificités du groupe auquel nous appartenons. En d’autres termes, nous sommes libres si nous pouvons prendre part aux décisions qui structurent et définissent le collectif qui protège nos droits. Pour approfondir cette vision, voir notre texte « Travail et Liberté ».
Comment cela se manifeste concrètement au sein du collectif ?
Le collectif dispose d’un commun, un lieu permettant l’accueil et le vivre-ensemble, tant sur le plan physique que logistique. Nous accueillons toute l’année, sept jours sur sept, des personnes qui se joignent aux habitant·e·s pour des durées variables. Ensemble, nous construisons les conditions matérielles nécessaires à la pérennisation du lieu — du moins, nous l’espérons. Dans ce cadre, nous accueillons régulièrement en urgence des personnes qui, dans de nombreux cas, n’ont pas d’autres solutions immédiates. Les habitant·e·s et visiteur·euse·s découvrent ainsi ce collectif/lieu qui, à l’avenir, pourra à nouveau les accueillir si le besoin se présente.
Prenons quelques exemples ! N’étant pas complètement indépendant·e·s de la société moderne, nous avons encore besoin de ressources financières. Ces ressources sont mutualisées, ce qui permet à des personnes ayant perdu leurs revenus d’être soutenu·e·s financièrement par le collectif. Cette mise en commun permet également d’accueillir des personnes sans revenu et de financer les événements que nous proposons à prix libre, évitant ainsi toute discrimination économique. L’effort nécessaire au fonctionnement du collectif est lui aussi partagé, permettant à une personne temporairement incapable d’y contribuer d’être prise en charge. De même, nous pouvons accueillir des personnes, un nombre parfois restreint par le contexte, qui ne sont pas en mesure, elles non plus, de participer à cet effort. Pour plus d’information voir le texte “Travail et liberté”.
Sur le plan de la gouvernance [comment les décisions sont prises], les décisions concernant le cadre de vie et les modalités partagées par tou·te·s les présent·e·s sont soumises à un accord collectif unanime. Cela empêche toute évolution du contexte sans l’accord d’une personne, même si elle est seule à exprimer une opposition. Ainsi, une majorité ne peut imposer à une personne ou à une minorité des changements qui les concernent. Les modalités décidées collectivement sont appelées à évoluer avec le collectif : rien n’est figé, tout peut être remis en question par n’importe quel·le habitant·e. Chacun·e dispose ainsi d’un pouvoir décisionnel réel et peut peser dans la vie politique du groupe.
Nous développons de nombreuses solutions pour pérenniser le lieu et répondre aux besoins des personnes qui y vivent, temporairement ou non. Cela inclut bien sûr l’accès à un hébergement et à une alimentation, mais aussi un cadre de vie sain et, lorsque cela est nécessaire et possible, un environnement réparateur. Ce soutien s’exprime notamment à travers les activités culturelles que nous organisons, les moments de partage et de convivialité, le cadre non libéral que nous cultivons, ainsi que la distance que nous cherchons à établir avec les aspects toxiques du modèle dominant. Ces objectifs sont détaillés dans les textes suivants :
- S’autonomiser collectivement
- Partager et transmettre
- Être solidaire
- Jouer et s’évader
- Ancrer l’art au quotidien
- Explorer et rechercher
- Habiter notre territoire
Ce qu’il nous reste à faire
De nombreux points restent à perfectionner et à affiner. Notre vision, moins centrée sur l’individu, cherche à développer des outils permettant de concilier les besoins individuels avec ceux du collectif.
Dans ce type de contexte, les réflexes libéraux [où l’individu prime] persistent. Le travail à accomplir sur ce plan relève surtout de la pédagogie : permettre à chacun·e d’intégrer de nouveaux réflexes et de déconstruire l’ego libéral [centré sur l’individu].
D’autres objectifs restent à atteindre, et sont détaillés dans les textes mentionnés ci-dessus.
Notes
- Nous n’utilisons intentionnellement pas le mot safe, souvent employé dans les milieux militants. Sur ce point, nous rejoignons en partie la critique formulée par Miriam Bahaffou — ce qui nous arrive rarement — concernant la place et la forme que le care, ainsi que ce que le terme safe, ont pris dans de nombreux milieux féministes. Elle qualifie cette tendance de « politiques sécuritaires du trauma » et en explicite de nombreuses embûches, dont de nombreuses auxquelles nous souscrivons. Voir Éropolitique : écoféminismes, désirs et révolution, Le Passager clandestin, 2025.